Quels médiators jouait Django Reinhardt ?

Photo d'une boîte à bijou contenant un mediator en écaille de tortue ayant appartenu à Django Reinhardt

Le médiator ( aussi dénommé mediateur, plectre, plume…) est un objet de tourment et de fantasme permanent chez les guitaristes, trop souvent envisagé comme un Graal qui ouvrirait instantanément les portes de la virtuosité.

C’est en tout cas l’espoir secret de beaucoup d’entre eux et les amateurs de jazz manouche ne font pas exception. On se souvient du raz-de-marée de médiators Dunlop Tortex violets qui a submergé la communauté jazz manouche après que de fébriles scrutateurs l’aient repéré sous les doigts de Biréli Lagrène lors de la publication en 2004 du DVD culte, « Live à Vienne ». L’on n’ose alors imaginer les réactions à la découverte des plectres du grand Django Reinhardt. Roulement de tambour… La fébrilité et les coulées de sueurs s’installent.

Grâce à quelques saintes reliques et témoignages, tentons de trouver une réponse à cette question existentielle.

Il existe une constante en jazz manouche pour le choix du médiator, à savoir : disposer d’un plectre suffisamment rigide pour qu’il ne plie pas. En dehors de cela, vous lirez ou entendrez énormément d’avis différents, principalement motivés par des ressentis, croyances ou considérations commerciales diverses. Pour faire le point et lever certains mythes, vous pourrez d’ailleurs bientôt lire ici un article à ce sujet. Mais alors ? Que pouvait donc bien utiliser Django Reinhardt ?

Jusqu’à l’arrivée des médiators en matière synthétique au courant du 20e siècle (PVC, nylon…), la plupart des plectres étaient fabriqués en écaille de tortue ou en corne. La bakélite, un plastique aux composants naturels, pouvait être utilisée à l’occasion. L’écaille de tortue a cependant l’avantage de produire un son clair, équilibré et puissant tout en absorbant la transpiration, ce qui favorise sa tenue et réduit les glissements. Aujourd’hui quasiment interdit à la vente, cette matière était à l’époque de Django onéreuse mais courante.

Comme tous les musiciens de son temps, Django utilisait ce type de médiator. Il jouait sur une guitare acoustique, non amplifiée, dans un contexte de danse ou entouré d’instruments très sonores comme l’accordéon ou le violon. Il avait par conséquent besoin d’un médiator rigide, ne pliant pas, afin d’exploiter au maximum les possibilités acoustiques de sa guitare.

Plusieurs témoignages issus de sa famille ou de ses contemporains musiciens rapportent qu’il s’était déjà fabriqué des médiators. C’est plus que probable car de nombreux guitaristes (en particulier manouches) en font autant. On sait de plus que Django était très habile de ses mains pour toutes sortes d’activités.

Selon certains témoignages, faute de médiator, Django aurait même joué avec une dent de peigne pendant plusieurs jours durant un engagement sur la côte normande ! Quelques boutons en corne, provenant de veston ou de pantalons, ont paraît-il fait l’affaire plusieurs fois. Toujours est-il que plusieurs reliques subsistent aujourd’hui.

La première relique fut conservée par l’historien et Djangologiste Alain Antonietto. Elle lui fut léguée par Sara « Tsanga », une des soeurs de Django Reinhardt. Ce plectre finement décoré a probablement été fabriqué à partir d’une boîte, d’un peigne ou d’un accessoire. La présence de deux petits trous, sans aucune utilité sur un médiator, laisse penser qu’il s’agit de récupération. La couleur de l’écaille est a priori claire (ou « blonde ») et la pointe est légèrement abîmée par un éclat manquant.

Il est intéressant de signaler que selon Alain Cola (créateur des guitares Dell’Arte), Roger Chaput en possédait un similaire. Chaput, ancien pompiste du Hot Club de France, s’en servait sur une guitare classique à cordes nylon. Lorsqu’ Alain Cola demanda un jour à Chaput où il avait acheté ce plectre, ce dernier répondit : « C’est un médiator « à la Django » « .

1. Un médiator ayant appartenu à Django Reinhardt /Collection Alain Antonietto

Le second médiator de Django dont nous avons connaissance est très intéressant car il fut conservé par Stéphane Grappelli en personne avant qu’il ne l’offre à Martin Taylor. On remarque sur une video (vers 6’30) que ce médiator a été recollé (Martin Taylor le compare d’ailleurs à un coeur brisé). Outre une épaisseur visiblement généreuse et une apparence rustique voire « fait maison », l’élément le plus notable est sa conception à trois pointes. Chacune des extrémités présente une usure ou une taille différente. Ces pointes ont-elles été façonnées à dessein, avec des profils spécifiques pour le solo ou pour l’accompagnement ? Le fait d’avoir trois pointes permettait en tout cas de prolonger la durée de vie du plectre qui n’en dispose la plupart du temps que d’une seule.

Photo d'un médiator recollé ayant appartenu à Django Reinhardt,.
2. Médiator de Django Reinhardt transmis par Stéphane Grappelli à Martin Taylor.

Clôturons le tryptique avec ce troisième exemple dont la marque Manouche Picks propose des reproductions disponibles à la vente. A en croire les dimensions annoncées, ce médiator de Django Reinhardt tiendrait plus du bouton de veston que du médiator : il est très épais (au moins 4mm) et assez petit (27 x 28mm). Jokko Santing, fondateur de Manouche Picks donne quelques éclairages intéressants sur l’origine de ce médiator. Lullo Reinhardt avait hérité de l’original et le confia à Jokko pour en produire une copie. Celui-ci précise qu’il a en fait pu observer non pas un mais deux médiators originaux ! Leur authenticité lui a été confirmé par plusieurs membres directs de la famille de Django.

Photo sur fond blanc de la copie d'un médiator ayant appartenu à Django Reinhardt. la couleur translucide et tachetée évoque l'écaille de tortue.
3. Reproduction d’un médiator ayant appartenu à Django Reinhardt / Manouche Picks

A la vue de ces trois spécimens, un faisceau d’indices pointe donc vers un recours régulier à un plectre d’une épaisseur minimale d’environ 1,2 / 1,5 mm et pouvant aller jusque 4 mm. Cette épaisseur pouvait toutefois être encore plus conséquente, selon ce que Django avait sous la main !

Video « Lady be Good » (live au Charlie)

Joli souvenir d’un passage le 18 janvier à la jam du Charlie sur invitation du talentueux Arsène Charry, en compagnie du bassiste Gabriel Seyer. Vivre à Paris n’est pas toujours facile mais son titre de capitale du jazz manouche n’est pas usurpée avec quasiment une jam par jour de la semaine. Un régal pour les Djangophiles !

Nice memory from a jam at Le Charlie, last january 18th, with young, talentful Arsène Charry on guitar and Gabriel Seyer on bass. Living in Paris is not always easy but it still deserves its title of Gypsy Swing capital city with one jam session per day of the week. A treat for all djangomaniacs!